Cédric Lévesque: Le pro du couteau

Cédric Lévesque aiguise des couteaux depuis une douzaine d’années pour sa propre compagnie, Aiguisage CL. Depuis le Centre- du-Québec, il n’a pas peur d’avaler les kilomètres dans sa van verte pour aller rencontrer ses clients, des particuliers et des chefs réputés, éparpillés un peu partout dans sa région et les environs. C’est d’ailleurs dans un café montréalais qu’on s’est donné rendez-vous, à 9 heures, par un froid matin de janvier. À 8 h 35, mon téléphone sonne : « Bonjour, c’est Cédric. Je suis déjà là ».

Quelques minutes plus tard, je rencontre un jeune quarantenaire bien mis, courtois et discret. « En fait, je suis arrivé à 8 h 05 », me précise-t-il d’emblée, satisfait que le trajet ne lui ait pris « que 2 heures et 20 » ce matin. Sa ponctualité n’a d’égal que son professionnalisme : il insiste pour me vouvoyer malgré le caractère informel de notre discussion. Pourtant, dès qu’il se met à parler de son métier, son sérieux initial et ses manières réservées se transforment en grands sourires et en gestes animés.

« Jeune, je voulais être ingénieur, comme mon père », raconte-t-il. Fasciné par les métaux et la précision qu’il faut pour les manier, il se lance, les yeux remplis d’étoiles, dans un monologue sur l’élaboration d’alliages de divers métaux, puis sur des techniques ancestrales de forgeage de l’acier.

Le diplôme d’ingénieur, il ne l’a finalement jamais obtenu : « J’ai mon cinquième secondaire, c’est tout ». Cela ne l’a cependant pas empêché de vivre, au fil des années, de sa passion pour la mécanique, enchaînant les emplois dans le domaine.

En 2010, il rencontre un aiguiseur de couteaux qui fait du porte-à- porte dans son quartier et il commence à travailler pour lui.

D’ailleurs, nombreux sont les clients qui lui parlent encore des aiguiseurs de couteaux ambulants de leur jeunesse et de la fameuse sirène qui annonçait leur arrivée. Cette façon de faire est quasiment disparue. Heureusement, selon Cédric, parce que la qualité n’y était pas toujours…

Il prend l’exemple de son ex-employeur : « Ce monsieur utilisait des machines hyper rapides et des bandes abrasives bon marché. Faire aiguiser ses bons couteaux par un aiguiseur de rue dont l’objectif est la quantité plutôt que la qualité, ça peut faire passer leur valeur de 300 dollars à 2 dollars ». Désabusé, il ne travaillera pour lui que six mois.

Toutefois, il est fasciné par le métier, si bien qu’il décide de fonder sa propre compagnie en se promettant de redonner ses lettres de noblesse à l’aiguisage de couteaux ambulant. Il misera sur ses connaissances en métallurgie, sur des outils de meilleure qualité et sur des machines réglées pour fonctionner plus lentement, mais avec plus de précision.

Autodidacte dans l’affûtage d’objets tranchants – outils de jardinage, ciseaux, scies, couteaux -, Cédric Lévesque, au volant de son atelier mobile, a acquis une belle notoriété au fil des années grâce à sa dextérité, sa patience, sa minutie et son efficacité légendaire. « On se rend chez les clients et on fait tout sur place en quelques minutes », explique l’entrepreneur.

À ses débuts, il remplissait son carnet d’adresses en faisant du porte-à-porte. Depuis 2020, il n’en fait plus : il n’en a plus besoin, étant donné que ses clients sont récurrents et que son site internet lui procure le reste de la clientèle dont il a besoin.

De plus, une partie de son horaire est consacrée à l’affûtage régulier de la coutellerie de chefs d’établissements québécois de renom, dont les restaurants du Ritz-Carlton et du Reine Elizabeth, à Montréal.

Il mentionne un autre de ses clients, le restaurant Leméac, sur l’avenue Laurier, dont il admire les pratiques : « Tout est bon dans ce restaurant parce que l’équipe a un souci du détail irréprochable, qui va jusqu’à l’aiguisage mensuel des couteaux de cuisine et de table ».

Cédric, qui, dans ses temps libres, aime se retrouver derrière les fourneaux (ou plutôt, devant son barbecue !), profite de ses bonnes relations avec des chefs pour discuter de ses projets culinaires personnels. Généreux, certains vont même jusqu’à lui offrir des conseils… mais aussi de la viande bio et du fond de veau !

Après avoir sillonné les rues pour aiguiser les lames de ses clients, le pro du couteau passe le plus clair de son temps libre à jouer dehors avec ses enfants (une fille de 12 ans, un garçon de 5 ans et un bébé tout neuf).

Le regard brillant, il ajoute que sa plus vieille montre déjà beaucoup d’intérêt pour son travail. « Elle vient m’aider depuis qu’elle a 10 ans. L’été, je l’emmène faire des tournées avec moi. Elle met les adresses dans le GPS, elle entre les disponibilités des clients dans le calendrier. Je lui donne un petit salaire », explique le papa, admiratif de sa pré-ado.

L’heure de la retraite n’approche pas du tout pour Cédric, mais voilà que la relève de l’entreprise est peut-être assurée.

Texte de Virginie Landry